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Written by  Naznee F.Burtally Sunday, 18 December 2011 12:00

« La femme alcoolique boit seule, boit pour oublier, boit pour ne plus souffrir, boit pour crier à la face du monde qu’elle ne s’aime pas et que personne ne la comprend », indique Patrick Boulonne, directeur général de l’Étoile d’Espérance, centre de traitement et de réhabilitation pour les alcooliques.
Patrick Boulonne estime que de plus en plus de jeunes femmes, entre 25 et 40 ans sont alcooliques. « Un rajeunissement de la population féminine qui succombe dans l’alcoolisme a été constaté durant ces deux dernières années. Et il est très difficile pour elles de s’en sortir sans l’aide nécessaire, car il faut prendre en considération que les femmes se cachent pour boire », explique Patrick Boulonne.
En 2010, 35 % des femmes admises à l’hôpital Brown-Séquard avaient des problèmes liés à l’alcool. Toutefois selon le Dr Vinod Sunassee, psychiatre et ex-surintendant de cet établissement psychiatrique, ce taux ne reflète pas le nombre réel de femmes souffrant d’alcoolisme. Beaucoup d’entre elles, ne recherchent pas de l’aide, à cause du qu’en-dira-t-on.
Selon Patrick Boulonne, lorsque la femme se met à boire, on peut dire que rien ne va plus ni pour elle ni pour la famille. Elle va s’adonner à son vice dans la solitude, la honte et la clandestinité. Le jugement que peut porter la société pousse plusieurs femmes, surtout celles de la classe aisée, à rester à l’ombre, alors qu’elles gagneraient à rechercher de l’aide.

La femme s’intoxique plus gravement et plus profondément que l’homme, avance le Dr Sunassee : « À poids égal et à consommation d’alcool équivalente, elle accuse très vite un seuil d’alcoolémie plus important ».
En Angleterre, une étude a démontré que l’espérance de vie d’une femme alcoolique baisse de 15 ans. Les femmes éliminent moins d’alcool au niveau de l’estomac. Il y a, donc, une plus grande proportion d’alcool ingéré qui se mélange dans le sang des femmes que dans celui des hommes. L’alcool est mieux toléré par l’homme à cause de son poids.
Le désir sexuel chez la femme diminue davantage et elle a la dysménorrhée, ce qui veut dire qu’elle a des menstruations douloureuses. La dépendance à l’alcool et les problèmes associés, comme les atteintes au foie et au cerveau, surviennent après une période plus courte d’intoxication chez la femme et ont une évolution plus rapidement défavorable.

Sur chaque 1 000 fœtus, le taux syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF) chez les femmes enceintes à Maurice est de 1 à 3, dit le Dr Sunassee. Dans d’autres pays, le taux varie de 23 à 29 sur chaque 1 000 fœtus. Quand une femme est enceinte, son bébé boit ce qu’elle boit. L’alcool est à l’origine d’un certain nombre de malformations fœtales, les plus graves étant regroupées sous le terme de syndrome d’alcoolisation fœtale. C’est le 3e handicap majeur de l’enfant après la trisomie 21 et les anomalies du tube neural.
Certaines études montrent qu’un à deux verres par jour pendant la grossesse provoquent des manifestations mineures du syndrome d’alcoolisation fœtale qui ne s’exprime complètement que chez les mères alcoolo dépendantes. Le syndrome complet se manifeste par un handicap physique et mental résultant en des troubles comportementaux importants, alors que les manifestations mineures comprennent un retard de croissance, des difficultés scolaires et des troubles du comportement.
Vu que les études scientifiques n’ont pas su déterminer avec précision les quantités d’alcool qui augmentent le risque pour l’enfant, il est fortement conseillé de s’abstenir de boire de l’alcool durant toute la grossesse. Il est également important de préciser que la consommation d’alcool pendant l’allaitement peut provoquer des convulsions chez le nouveau-né, explique le psychiatre.

Campagne de prévention

La Journée mondiale de la prévention du syndrome d’alcoolisation fœtale est célébrée le 9 septembre. À l’île de La Réunion, c’est l’association SAF France, dirigée par le Dr Thierry Maillard, qui a eu l’idée de mettre au point une campagne de prévention et de sensibilisation.
À Maurice, c’est l’Étoile d’Espérance, centre de traitement et de réhabilitation pour les alcooliques, qui s’occupe de promouvoir une telle campagne. Chaque année, le Dr Thierry Maillard vient à Maurice dans le cadre de cette journée pour promouvoir la campagne de sensibilisation afin de faire comprendre aux femmes que l’alcool affecte le fœtus pendant la grossesse.

En chiffres

Le taux de divorce est quatre fois plus supérieur chez les femmes alcooliques. 30 % à 40 % des jeunes femmes ayant une mère alcoolique risquent d’en devenir une, à l’âge adulte, selon le Dr Sunassee

TÉMOIGNAGES

La quinzaine de résidentes en réhabilitation au centre l’Étoile d’Espérance, vont partir dans leur famille pour les fêtes de Noël et de fin d’année. Une occasion pour ces femmes de faire face à la réalité et de résister à la tentation. Car en cette période de fêtes, les boissons alcooliques sont omniprésentes.
E. A., âgée de 38 ans, raconte que la boisson a failli mettre un terme à sa vie de couple. « J’ai commencé à l’âge de 17 ans, puis c’est devenu une habitude, jusqu’au jour où j’ai réalisé que l’alcool me détruisait complètement. Les autres me racontaient mon comportement sous l’emprise de l’alcool. Alors j’ai décidé de me ressaisir pour sauver ma vie de couple. Mon mari est très compréhensible et a pris les dispositions nécessaires pour me faire interner à l’Étoile d’Espérance », raconte-t-elle.
« Depuis que je suis au centre, je me sens mieux. Bien que je vais partir chez moi je ne vais pas me laisser tenter par la boisson. Mon mari ne prend pas d’alcool alors que mon père a cessé depuis que j’ai pris la résolution de cesser. Je suis convaincue que pour les fêtes de fin d’années je ne vais pas me laisser tenter », ajoute-t-elle.
J.J., mère de trois enfants, est en résidente à l’Étoile d’Espérance depuis deux mois. Elle raconte qu’elle a commencé à boire petit à petit, après des problèmes familiaux, mais qu’à un moment elle ne pouvait plus sortir. « Alors grâce au soutien de la famille et pour mes enfants j’ai décidé de venir ici. Depuis deux mois, je suis ici et je me sens très bien. Et je me suis fait le serment de ne plus toucher ce poison. J’ai vécu un calvaire avec l’alcoolisme, maintenant je veux vivre pour mes enfants et ma famille », dit-elle.
S. B., 27 ans, a réalisé son erreur après la naissance de son dernier enfant. Mère de deux autres enfants, le dernier qui a seulement 9 mois aujourd’hui a été victime des effets du syndrome d’alcoolisation fœtale. Il a heureusement eu des manifestations mineures, soit un retard de croissance.
« Depuis la naissance de mon dernier, j’ai réalisé mon erreur. Par ma faute, mon dernier enfant doit souffrir, mais les médecins m’ont assuré qu’il a été légèrement affecté et qu’avec des traitements nécessaires il ne sera plus en danger. Quand je vois mon bébé dans cet état cela me ronge le cœur », explique-t-elle.

Patrick Boulonne dit que l’alcoolisme ne touche pas une couche sociale en particulier et note que de nombreuses femmes de la classe aisée souffrent de ce problème. « Comme elles ont honte de sortir de leurs coquilles, elles continuent à boire dans l’ombre. Très souvent, ce sont les maris qui finissent par nous solliciter », fait-il remarquer.
Le centre l’Étoile d’Espérance existe depuis avril 1997 et accueille les femmes alcooliques. Parmi les 200 femmes qui sollicitent son assistance par an, on trouve de nombreuses ménagères. Il y a un gros travail à abattre sur le terrain pour combattre le fléau de l’alcoolisme chez les femmes. Elles prennent le relais des hommes. De nos jours, l’alcool est servi en toute occasion.

Thérapies en trois phases

Un programme en trois phases a été conçu pour les femmes qui viennent au Centre l’Étoile d’Espérance :
1. Day Care : Elles passent la journée au centre en suivant les thérapies et en s’adonnant aux activités artisanales, assistent aux séminaires et réapprennent à prendre soin de leurs corps.
2. Résidentiel : Les femmes en grande difficulté sont prises en charge pendant une durée (pouvant dépasser quatre mois) pendant laquelle elles n’ont pas droit à l’alcool. Elles travaillent sur elles-mêmes, loin de leurs soucis. Le centre s’occupe de la réhabilitation, alors que le Brown Séquard Hospital s’occupe de l’aspect médical.
3. After Care : Celles qui ont résidé au centre doivent absolument y revenir une fois par semaine, après avoir regagné leur famille, pour continuer la thérapie. Une thérapie familiale existe au centre, car un malade alcoolique traumatise toute sa famille. À travers la National Agency for the Treatment and Rehabilitation of Substance Abusers (Natresa), le ministère de la Sécurité sociale soutient financièrement le centre, mais, comme cet argent n’est pas suffisant, les membres procèdent à des levées de fonds tout au long de l’année et vendent les produits artisanaux réalisés par les femmes au centre.